PCSI/PTSI DS n°2

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  • d’absence de séparateurs ou d’indications de nombre de mots par ligne

Il y a  de l’éternellement ineffaçable dans le mal. Que la persécution triomphe à grand éclat de l’innocence et des justes causes, ou que la bonne volonté privée ou publique finisse par s’enliser ou par succomber, cédant à la malchance des circonstances et à la perversité des exemples, le mal fait alors au réel une blessure que seule une pensée étourdie dirait cicatrisable. Les compensations sont ici hors de saison. Il importe peu, et la loi est bien loin d’être générale, que le tyran un instant triomphant se trouve un jour précipité, que l’injustice soit plus tard raturée de l’histoire, que les provocateurs de mal finissent par être réduits à l’impuissance ; il suffit que la méchanceté ait eu raison au moins une fois dans le fait pour faire scandale, car jamais les choses ne pourront être remises exactement en place –comme dans la conclusion du livre de Job trop consolante pour n’être pas suspecte lorsque le juste persécuté après avoir été dépouillé de tout, retrouve troupeaux abondants et famille nombreuse avec une parfaite exactitude, tête de bétail pour tête de bétail, fille pour fille, garçon pour garçon. Dénouement postiche ou humour noir, car ce qui a été perdu est, lorsqu’il s’agit d’êtres humains et non de troupeaux, à jamais introuvables et irrécupérables en ce monde. Réparations et réhabilitations réduisent la justice à n’être que cérémonie et symbole. Le mal parce qu’il a été inscrit dans l’être condamne toute mémoire historique au remords ; il est dès lors le problème qui décourage d’avance toute solution.

Soit en effet une solution qui pourrait à première vue sembler exemplaire. Platon, méditant sur l’injuste mort de Socrate, disciple fidèle entre les fidèles, se jurant de donner raison à son maître, peut bien mobiliser les ressources qui sont en lui d’art, de raison et de mystique  pour inventer  ou découvrir un monde total plus vrai que l’univers visible[1], et dans lequel Socrate sera le juge de ses juges, il reste que le procès à consommé l’injustice, que la cigüe[2] a été bue et que le souvenir d’Athènes est souillé de la tâche ineffaçable. La philosophie platonicienne serait-elle vraie de bout en bout et nous révèlerait-elle l’endroit du monde dont nous ne connaitrions que l’envers, il reste que endroit et envers sont solidaires et forment une seule étoffe indéchirable comme la continuité de l’être. Allons jusqu’à une hypothèse impossible : Platon aurait-il converti les hommes  et les cultures surgis après lui, Socrate aurait-il été dans l’histoire le dernier juste persécuté au point qu’il n’y ait eu ensuite ni bourreau ni victime, ni tyran ni esclave, ce qui a été perpétré une fois n’est pas aboli. Nul justement mieux que Platon ne nous a appris que penser c’est se ressouvenir de toutes choses dans une lumière d’éternité. Penser au mas qui a été dans mon histoire ou dans l’histoire, c’est découvrir qu’il est devenu une insupportable vérité éternelle. Voilà pourquoi la pensée du mal ne peut être qu’angoisse et angoisse métaphysique, ou si l’on veut remords. Car avoir du remords c’est tout simplement penser au mal comme à une réalité.

Le remords n’est donc pas un ordinaire évènement psychique, et c’est en vain que le discours idéaliste essaie de le convaincre d’illusion ou d’absurdité ; le remords est une forme a priori à la fois de la mémoire et de la conscience morale (« comme le souvenir est voisin du remords », dit admirablement Hugo, pastichant par avance Baudelaire) ; le remords est plus éclairant que clair, ce qui est le cas de toute structure d’esprit ; le remords est la conscience de l’irréparable dans le crime ; le remords a, comme on dit, aujourd’hui une intentionnalité, mais séparable de ce qu’il vise, il porte au-delà du mal pour-nous vers le mal en-soi ; le remords est toujours infiniment proche d’un désespoir et il désespère de ne pouvoir ôter l’inscription du mal dans la nature et dans l’histoire. Le propre du remords est une extraordinaire lucidité métaphysique : l’objectivité monstrueuse du mal qui lui est clairement révélée est le contraire d’un hallucination ; cette lèpre survenue au réel n’est pas la projection d’une psychologie morbide ; elle a été donc elle est ; le remords est la perception aigüe d’un absolu dans le monde ; la conscience ne peut connaître le crime commis par d’autres sans participer à l’illumination du remords, si bien qu’un seul crime suffirait pour interrompre l’innocence des toutes les consciences présentes et à venir. Le mal fait un monde coupable et dès lors nous sommes tous coupables d’être au monde.

Hegel, si animé contre le prophétisme biblique, dénonçait dans les lamentations sur « la prospérité des méchants » le pharisaïsme[3] de la « belle âme ». C’était philosopher contre la conscience morale. Les vieux prophètes d’Israël savaient eux, par génie ou  inspiration, où se trouve le scandale du mal, dans sa réalité même quelles que soient les causes ou les conditions, les suites ou les conséquences. L’angoisse est alors savoir du mal, et qui sait de science que tout crime a réussi dès lors qu’il est accompli, que tout crime au fond est impuni parce qu’il est métaphysiquement sans intérêt que le crime conduise au gibet ou sur le trône, car ce qui était dû en toute justice au crime comme au non-sens, c’était de ne pas être ; cette justice a manqué une fois et donc pour toujours. Le bonheur des méchants, l’expression fait pléonasme, il n’y a que des méchants heureux puisqu’ils ont réussi à introduire la méchanceté dans les monde. Telle est dans et par l’angoisse la première expérience du mal.

Le mal n’est pas seulement cet absolu qui fait scandale parce qu’il participe à l’être, et qu’il partage l’agressivité, l’insolence, l’indubitabilité de tout réel ; le mal se montre aussi au-dedans même du bien, qui ne cesse de se fragmenter en biens différents, rivaux, ennemis- au point que c’est aussi une figure insoutenable du mal que cette contradiction qui divise le bien contre le bien. Telle est la deuxième expérience du mal.

Expérience courante et brutale puisqu'il n’est pas de diversité entre les hommes qui ne soit génératrice de conflit et qu’il n’est pas de conflit qui ne mette aux prises à la fois les hommes et les valeurs. Les vieux poètes grecs avaient philosophiquement raison de mêler l’Olympe aux aventures historiques et politiques des peuples, puisque la guerre des hommes est en même temps guerre des dieux, c'est-à-dire partage des valeurs, déchirement de l’esprit, et si l’on peut anticiper la suite de l’analyse, mort de Dieu. Homère mobilisant la moitié des dieux du côté de l’ennemi troyen va plus profond dans l’intelligence du conflit que les modernes seigneurs de la guerre ou de la révolution, également totales et qui proclament dans un langage faussement positif « Dieu est avec nous » ou « l’histoire avec nous ». La mythologie peut d’aventure être moins menteuse que l’idéologie ; celle-ci élude le problème du mal par le moyen de la diversion fanatique ou de la mystification politique ; celle-là à travers le clair-obscur du symbole le rencontre dans sa réalité dramatique.

La guerre est l’occasion privilégiée de donner substance et vigueur au problème du mal non seulement parce que une fois engagée, elle laisse au plus injuste une chance de triompher, ce qui nous renvoie à notre première figure du mal, mais plus encore parce que la guerre introduit une brisure à l’intérieur même du Bien. Tout combattant quel que soit son camp se bat à la fois pour et contre la justice, et il n’est au pouvoir d’aucune sagesse politique de dénouer l’antinomie. Sans doute, il faut congédier les discours académiques et héroïques, fabriqués pour endormir l’angoisse : les belliqueux et les révolutionnaires disent que la mort à la guerre est absurde s’il s’agit de la mort de l’ennemi, ou surabondante de sens et de gloire s’il s’agit de la mort de l’ami ; de fait, la parole idéologique ou fanatique couvre une réalité cruellement dialectique : à la guerre, on ne meurt jamais pour rien, car il n’est pas de cause qui n’ait pas droit à l’existence et au rayonnement ; une barbarie, si elle se bat et parce qu’elle se bat n’est pas sans culture, pour reprendre un thème hégélien, et prouve par là même qu’elle a le droit à une avenir historique ; l’agresseur le plus cynique, le défenseur le plus obtus de privilèges impossibles, s’ils se battent et puisqu’ils se battent, ne sont pas sans vertu ni sans honneur ;  et pourtant, à la guerre on meurt toujours pour rien puisqu’aucune cause humaine ne peut sans mentir confondre ses valeurs toujours relatives, ambigües, précaires avec l’absolu du Bien- et seul l’Absolu pourrait justifier ou plus exactement absoudre un sacrifice absolu.

Incertitude tragique, que la guerre porte à son comble, mais qui est déjà  la vérité, énigmatique et éprouvante, de tout conflit ; la guerre apparaît au-delà de la guerre, elle est guerre des valeurs partout où l’homme affronte et contredit l’homme, et la bataille charnelle est toujours en même temps antinomie pour l’esprit. C’est pourquoi la guerre est aussi facile à faire que difficile à comprendre. Car il n’est pas d’action qui ne participe à la faute, et celle-là même qui dans la générosité et le courage désigne et combat le mal. Se résigner eût été être complice, c'est-à-dire faillir, mais se lever, combattre, c’est faire un bruit à réveiller le diable, chercher, pour vaincre, les collaborations de la convoitise et de l’orgueil, et c’est encore faillir. La loi vaut encore sur les hautes crêtes de ce qu’on appelle l’héroïsme moral : le pionnier du progrès qui arrache à sa naïveté naturelle et à son immobilisme culturel un peuple longtemps ensommeillé et a désormais voué aux fièvres de l’esprit et aux agitations de la liberté, ou le prophète d’une nouvelle et divine loi, rejeté par une cité indocile, et  « ils seraient sans péchés » ceux auxquels il a été envoyé, s’il ne leur avait parlé, car les voici rejetés au pire pour avoir refusé le meilleur ; autant d’exemples pour montrer que le bien, dès qu’il est conquérant, missionnaire, qu’il descend des morales des moralistes dans l’histoire des hommes, voici qu’il donne au mal des chances supplémentaires : ainsi Socrate ou Jeanne d’Arc devenant l’occasion d’un crime pour la démocratie athénienne ou la chrétienté médiévale.

Ces cas ne sont d’exceptions que par la qualité rare ou unique des protagonistes, ils rendent seulement plus visible la dialectique de toute action humaine, qui parce qu’elle est déterminée, limitée est négatrice de quelque valeur et ne peut pas ne pas subir la passion de la faute, ne serait-ce dans la limite d’ailleurs idéale, que par omission. Même l’action juste est injuste par quelque biais et il y aurait pharisaïsme à ne point le reconnaître et à vouloir pratiquer  dans toute sa rigueur la maxime platonicienne selon laquelle l’injustice est l’absolu du mal, souverainement haïssable, on se lierait du même coup langue, bras, et jambes car il est impossible de s’engager, de faire, de créer sans commettre cette injustice de négliger, d’humilier, de compromettre ou de rejeter quelque valeur positive, comme le pied sur le sentier écrase à chaque foulée des vies innocentes qui ne méritaient pas de disparaître.

E. BORNE. Le problème du mal (1958)



[1] Allusion à l’idéalisme platonicien, présenté entre autres dans l’allégorie de la caverne

[2] Socrate a été  injustement condamné par la justice athénienne à boire la cigüe, poison mortel. On lui reprochait de corrompre la jeunesse.

[3] Pharisaïsme : hypocrisie

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